17 déc. 2010

De petites incitations peuvent avoir des effets inattendus

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Parce que des gens rationnels exploitent généralement les occasions d'améliorer leur situation, les incitations économiques sont un levier puissant à la disposition des dirigeants. Il leur suffit d’infléchir les incitations pour orienter les comportements individuels dans le sens de l’intérêt général. Ainsi, une augmentation des taxes sur l’essence peut contribuer à lutter contre la pollution de l’air et le réchauffement climatique. De petites incitations peuvent donc avoir de grandes conséquences. Mais elles ont parfois des effets inattendus. Comme le montre l’exemple suivant traduit du premier chapitre de Freakonomics.

The New Yorker
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Imaginez un instant que vous êtes le directeur d’une crèche. Votre règlement édicte clairement que les enfants doivent être récupérés avant 16 heures. Mais les parents sont souvent en retard et vous vous retrouvez chaque soir avec des enfants anxieux sur les bras et au moins une employée mécontente pour les garder. Que faire ? Une équipe d’économistes israéliens a crû avoir trouvé une solution : mettre à l’amende les parents retardataires. Après tout, la crèche n’a pas à garder leurs enfants pour rien.

Afin de tester cette bonne idée, les économistes ont réalisé une expérience dans une dizaine de crèches à Haïfa. L’étude s’est déroulée sur vingt semaines, mais l’amende n’a pas été introduite tout de suite. Pendant les quatre premières semaines, les chercheurs ont juste comptabilisé les retards : en moyenne 8 par semaine et par crèche. La cinquième semaine, l’amende a été instituée. La direction a informé les parents qu’en cas de retard de plus de dix minutes, ils devraient payer 3 $ par enfant et par infraction -- payable à la fin du mois avec la cotisation mensuelle de 380 $. Résultat : dans les semaines suivantes, le nombre des retards a… augmenté ! En moyenne 20 par semaine et par crèche ! L’incitation avait produit exactement l’effet inverse de celui escompté.

A la base, l’économie est l’étude des incitations. (…) L’économiste type croit qu’il n’existe pas de problème qu’on ne puisse résoudre avec une incitation appropriée. La solution proposée ne sera pas toujours très jolie – elle peut impliquer un fort niveau de contrainte, des pénalités exorbitantes, voire des atteintes aux libertés civiles – mais, soyez-en sûrs, le problème sera réglé. Une incitation est une arme, un levier, une clef : une petite chose qui a un pouvoir étonnant de changer la situation. (…) Alors, qu’est-ce qui a cloché avec l’incitation mise en place dans les crèches israéliennes ?

Vous avez probablement déjà deviné qu’une amende de 3 $ était simplement trop faible. Pour ce prix, un parent peut arriver en retard tous les soirs et s’en tirer en payant seulement 60 $ de plus à la fin du mois – environ un sixième de la cotisation mensuelle. Comparé au prix d’une baby-sitter, c’est vraiment donné. Une amende plus élevée, au besoin de 100 $, aurait sans doute mis fin aux retards, au risque de faire des mécontents (une incitation a aussi des inconvénients, il faut trouver le juste milieu).

Mais ce n’est pas tout. Il y a un autre problème avec l’incitation mise en place dans les crèches. Elle substituait une incitation monétaire à une incitation morale (le sentiment de culpabilité du parent retardataire). Pour juste quelques dollars par jour, les parents pouvaient désormais s’acheter une conscience. Qui plus est, la modicité de l’amende leur signalait que, tous bien pesé, arriver en retard n’était pas une si grosse affaire. Si le préjudice pour la crèche n’excède pas 3 $, à quoi bon interrompre le match de tennis avant la fin ? De fait, quand les économistes décidèrent de retirer l’amende, la dix septième semaine, cela n’eut aucun effet sur le nombre des retards. Désormais, les parents pouvaient arriver en retard sans bourse délier, et en toute bonne conscience.

Steven Levitt & Stephen Dubner, Freakonomics, William Morrow 2005

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